“Cette Terre”: un hymne douloureux au Nord-Est brésilien– EST Republicain – 3/5/84

– EST Republicain – 3/5/84

“Cette Terre”: un hymne douloureux au Nord-Est brésilien

Méconnue du grand publle en France, la littérature contemporaine-latino-américaine possède en Lorralne un ardent promoteur, Jacques Thiériot, directeur des Prémontrés, fort d’une connaissance profonde de la culture et de la langue brésiliennes, en raison d’une oeuvre consacrée au Nord-Est brésilien.

Le roman, qui s’intitule “Cette Terre”, surprendra par ses accents parfois céliniens.  La misère humaine, sous ses múltiples formes, y est décrite avec un réalisme brutal par un auteur, /ãgé de 44 ans, publicitaire et journaliste, Antonio Torres, considéré actuellement dans son pays comme un des meilleurs écrivains de as génération.

“Un patelin de pisé”

Le cadre de ce récit, court mais dense, c’est le “Junco”, une terre dont Torres est originaire, ravagée par la sécheresse et la pauvreté. Un coup de projecteur a d’ailleurs été donné récemment sur la détresse de ses habitants qui attendaient depuis des mois la pluie salvatrice. Elle est, parait-il, enfin arrivée em avril.

Le narrateur, Totonhim, qui s’exprime à la première personne, parle em te sens “d’un patelin de pisé, hourdis, tulle et chaux, qui n’a vraiment pas changé”.”Nos aieux avalent beaucoup de paturares, nos pères peu de paturages et nous, nous n’em avons plus du tout”.

Dans ce décor où la malédiction semble peser perpétuellement sur une population de paysans résignée mais farouche, est à nu, sans la moindre complaisance, l’évolution en vingt années d’une famille de douze enfants, déchirée par ses contradictions, ses haines et ses désirs.

Le passé et le présent s’entrechoquent dans une sorte de frénésie troublante soutenue par un style haché, un vocabulaire souvent cru, un ton fréquemment proche du délire, qui ne rendent pas toujours la lecture des plus aisées, Le témoignage se révéle em tout cas enrichissant tant par l’originalité de la forme que par la puissance du thème.

“Dépêche-toi de grandir pour aller à Sao Paulo”

Au Junco, on vit dans la hantise du lendemain, parce que rien ne permet d’espérer la moindre amélioration. Le souhait de tous: “de l’argent, de l’argent, de l’argent”. “Dépêche-toi de grandir, mon petit, pour sller à Sao Paulo, disent les pères à leurs fils. La ville lointaine est, en effet, synonyme de richesse.

L’ainé de la famille, Nélo, y est ainsi parti et em revient, un jour, apparemment seulement ruiné, dans tous les sens du terme. Abandonné par sa femme, effondré psychiquement, il se pend quelques jours après son retour. C’est l’occasion pour son fère cadet de tirer les leçons du passé.

Et un extraordinaire cortège de personnages, hauts en couleur, se met alors à défiler: il y a Alcino le Félé, un maniaque d’anathèmes lancés à la porte de l’église, la risée de ses concitoyens à cause de sa malformation sexuelle dont la monstruosité a fait fuir sa femme la nuit mème de ses noces, Pedro Infante, le louche patron du bistrot, le sergent de police toujours prét à abuser de ses pouvoirs, Zé le pharmacien à la compétence professionnelle des plus douteuses. Et sutout émergent d’une manière saisissante les portraits du pére et da la mère, qui se sont séparés après d’interminables années de disputes.

La solidarité malgré tout

Le père possédait jadis une petite plantation de sisal. Endetté par les préts bancaires, il a tout perdu et s’est expatrié, son tour. A travers lui, Totonhim rend hommage au travail manuel: “la meilleure plume du monde, c’est le mancho d’une houe”. La mère, elle, rendue folle par le suicide de son ainé, finira à l’asile.

Bref, tout semble désespérant dans cette histoire où règnent la lâcheté, la dérision malsaine, le mépris constant de l’humanité. “Nous avons même peur de nos ombres qui rampent comme des serpents sous la faible lumière des ampoules. Des vingt-cinq bougies, nous sommes trop pauvres pour em acheter des plus fortes”. “Sur cette terre, les vivants ne dorment pas, et les morts ne reposent pas en paix. “ On tient uniquement le coup grâce à l’alcool du cru, la “cachaça”!

Et cependant, de temps à autre, s’allument de petites lueurs de foi dans la valeur de l’homme. “La solidarité humaine, elle existe, oui. Du moment qu’on connait quelqu’un em condition de l’offrir. Em tout cas, dans nos contrées, ç’a toujours été comme ça. Em fait, ce serait plutót un échange de services”. Tout n’est done pas entièrement pessimiste dans cet hymne douloureux, à la rudesse étonnante mais qui ne manque pas de beauté.

Gerard Gerome

– “Cette Terre” publié aux éditions A.M Métailié. Diffusion par les Presses universitaires de France.